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L’Octroi de Mer, maillon fort du statut colonial

Rudy STEPHENSON

Une relique de la monarchie et de la Colonie

L’Octroi de Mer est l’impôt anciennement créé par Jean-Baptiste Colbert, ministre des Finances de Louis XIV et institué au XVIIe siècle.

Cet impôt s'inscrivait dans une logique de renforcer le pouvoir royal et de développer l'économie française qui deviendra puissante grâce à ses colonies.

Ce qu’il faut comprendre dans la doctrine économique dès cette époque, c’est que les colonies n’avaient pour seule vocation que de fournir à la « Métropole », la France, toutes les richesses dont elle avait besoin : ressources naturelles terrestres, minières, maritimes et halieutiques, bref de la biodiversité exceptionnelle d’un territoire non européen.

À aucun moment dans l’histoire, il n’a pu s’agir que la "Métropole" finance d’une manière ou d’une autre le développement de ses colonies.

Pour éviter, justement, à la Métropole de payer le développement de ses colonies, notamment en matière d'infrastructures et de défense, l’octroi de Mer a ainsi fait des merveilles, et ce jusqu’à aujourd’hui.

Donc, c’est seulement dans cet esprit qu’il faut comprendre que l’idée originelle de cet impôt (qui concernait au début les seules communes françaises) a été étendu aux colonies françaises.

Aussi, une des vertus trompeuses a consisté à faire de cet impôt un instrument de protection de la production locale. Mais, en vérité, la magnifique idée de Colbert était bien moins romanesque, car en centralisant la perception de cet impôt cela n’a fait que renforcer le contrôle d l’État sur ses colonies et priver d’autonomie les colons français.

 

Une évolution à sens unique vers un paradoxe immuable

Au fil des siècles, l'octroi de mer a connu de nombreuses évolutions. Il a été adapté aux mutations économiques et politiques des territoires colonisés, tout en conservant sa fonction de base : financer les collectivités locales et protéger « les productions locales ».

Au XIXe siècle, l’octroi de mer a été progressivement transféré aux collectivités locales, pour qu’elles obtiennent une plus grande autonomie financière et avec la création des départements d'outre-mer, l’impôt colonial est devenu une ressource essentielle pour financer (normalement) les services publics et les investissements de ces dernières.

Mais, alors, pourquoi donc, nos collectivités dans leur grande majorité ne parviennent pas à présenter un budget qui présenterait plus de 40 % consacrés aux investissements pour les infrastructures et les services publics ?

Pour mieux comprendre, résumons très grossièrement le mécanisme de l’Octroi de Mer si cher à la classe politique locale.

L'octroi de mer se compose généralement de deux volets : l'octroi de mer externe (OME) qui s'applique aux produits importés dans le territoire et l’octroi de mer régional (OMR) qui concerne les produits fabriqués localement.

Le principe de base de son application est simple : un même produit, qu'il soit importé ou fabriqué localement, peut être soumis au même taux d'octroi de mer. Cependant, des exceptions peuvent être prévues pour certains produits stratégiques (le Spatial, la Défense...) ou pour encourager certaines productions locales (le taux cumulé de l'Octroi de Mer est en moyenne de 15% pour l'OME et 3% pour l'OMR).

Et, c’est la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG) qui à la charge de fixer les taux d’imposition de l’Octroi de Mer.

Cependant, c’est toujours l’État qui collecte cet impôt (la Douane qui prend au passage 1,5% de frais de service).


Comprenons simplement que plus nous consommons des produits taxés, plus les Collectivités Territoriales peuvent augmenter leur budget.

Il est là le paradoxe qui explique nos collectivités locales sont enfermées dans une situation difficile : Protéger le production locale leur rapporte moins que taxer les produits importés.


L’Octroi de Mer, une des grandes causes de la vie chère

L’Octroi de Mer est la taxe qui explique la partie la plus lourde des prix de la plupart des produits vendus en Guyane (98% de la consommation du territoire).

Cette taxe constitue, en partie, le prix des produits vendus sur place et donc payés par les consommateurs guyanais.

L’importateur comme celui qui vend le produit en bout de chaîne finalement ne paye pas l’Octroi de Mer. Concrètement, l’octroi de mer étant répercuté dans les prix, seuls les consommateurs finaux payent cet impôt.

C’est pourquoi, beaucoup milite pour augmenter ni la production locale, ni la consommation de cette production car elle n’est pas taxée par l’Octroi de Mer comme les produits importés.

Pour autant, la production locale reste chère car elle dépend elle aussi des produits importés pour exister.

Prenons l’exemple de la viande locale, et de notre éleveur qui pour élever son bétail va devoir acheter ce qui va lui permettre de le faire : les aliments pour bétails, le carburant, les machines et les outils, les hangars, l’électricité, l’eau et le temps (de travail). Tous ces éléments sont plus ou moins impactés par l’Octroi de mer et d’autres taxes encore.

Notre éleveur ne maîtrise pratiquement aucun des éléments de prix de ce qu’il dépense pour produire notre viande locale si appréciée et demandée ! Au bout du bout, quand il fera son prix, il va devoir additionner ce qu'il dépensé dans ce prix.

Et, le résultat nous le connaissons tous.

 

L’autre paradoxe

Alors quand la classe politique est vent debout pour exiger le maintien d’une telle taxe, soit elle affirme à chaque fois ne pas se soucier de ce qui coûte vraiment aux consommateurs guyanais, soit elle se perd dans une logique coloniale que pourtant elle ne cesse de dénoncer.

Cependant, en dépit de tous les débats que nous pourrions avoir sur l’impôt lui-même, le bon sens une nouvelle fois serait que TOUS comprennent que nous parlons d’une taxe qui est payée sans échappatoire par les seuls consommateurs locaux.

Cela veut dire tout simplement que cette part importante du budget de nos collectivité n’est pas payé par le monde économique local, par l’État ou par l’Union Européenne, mais par les guyanais seuls !

Cela veut aussi dire que l’esprit de Colbert, de la monarchie, de la colonie puis de la république française se perpétuent dans une tradition fiscale qui atteint toujours le même but en 2024 : faire que l’État n’investisse pas plus directement dans le développement du territoire, ancienne colonie pourtant devenue département.

Cela veut dire enfin, pour tous ceux qui ont du mal à comprendre l’importance de vivre ancré dans notre réalité, qu’il convient bien de toujours appeler la France « Métropole » considérant que c’est bien son statut au travers de cette fiscalité.


Et pourtant, ils sont nombreux ceux qui militent pour plus d’autonomie, plus de responsabilité, plus d’émancipation, plus de décolonisation et plus de souveraineté. Pourtant les mêmes se retrouvent paradoxalement dans la même posture et les mêmes arguments que ceux qui militent pour plus de France et plus de cet esprit républicain, héritier de Colbert.

Défendre le maintien de cet Octroi de Mer est un non sens historique, un contresens économique et une aberration inquiétante fondée sur le seul argument que taxer la consommation des guyanais serait la seule solution d’entrevoir une économie, un statut politique et une évolution sociale différente.

Cela n’exclut en rien que les collectivités dans ce système, ne pouvant se financer que par la fiscalité, doivent toujours pouvoir le faire. Mais, pour ceux qui militent pour plus d’État alors, l’État doit financer directement ce que finance l’Octroi de mer.

Pour ceux qui militent pour moins d’État et plus d’autonomie, alors, il faut que la production locale soit taxée d’une part, et que les importations le soient plus encore sans possibilité de faire payer aux consommateurs le coût de l’impôt d’autre part.

De sorte que la production locale soit l’essentiel des produits de consommation (notamment dans l’alimentaire) et que les produits importés soient « du luxe » pondéré.


Nous devons quoiqu’il arrive sortir de cette schizophrénie et modifier notre mode penser le développement de la Guyane. Il n’est plus possible, à la fois de se battre pour plus d’autonomie, et se battre en même temps, pour conserver des systèmes qui ont été créé pour empêcher toute forme d’autonomie.


Nos Collectivités Territoriales peuvent être les premières à exiger de l’État qu’il inverse le cours de l’histoire et fasse qu’il investisse ce qui doit être investit réellement en Guyane. Peu ou prou, à hauteur de ce que cet impôt colonial a rapporté depuis plus de 3 siècles à la nation française.

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