Les vertus d’une visite présidentielle sont toujours intéressantes à analyser.
Et la dernière visite éclair d’un président de la République n’échappe pas à cette règle.
S’il fallait enfin réussir à comprendre ce qui ne va pas dans la classe politique locale qui avait été mise à l’écart en 2017 à cause de son incapacité à être à la hauteur des problèmes de la Guyane, aujourd’hui nous avons un peu plus de lumière dans cet océan obscur de manipulations politiciennes qui minent depuis l’avenir guyanais.
Et cet éclairage en 2024, met en exergue des comportements politiques qui datent même d’avant le basculement de 2017. Nous sommes de nouveau confrontés à cette faiblesse politicienne qui a marqué l’épisode de 2010 et pendant lequel le premier processus d’évolution statutaire avait subi l’offensive stratégique gouvernementale du statuquo.
Mais, au fond qu’est ce qu’il y a à comprendre entre les objectifs des gouvernements français successifs en Guyane et cette lutte acharnée de quelques élus guyanais pour obtenir plus d’autonomie au sein de la république ?
Il y a deux éléments à retenir en priorité.
Pour la France l’autonomie est un non sens et n’est pas utile.
Le premier élément est la position française : Pas d’autonomie pour la Guyane, mais au contraire un contrôle accru et continu du territoire qui est un réservoir de richesses contribuant au rang de la France dans le monde.
La France ne peut en aucun cas prendre le risque de laisser entre les mains d’élus non acquis à sa cause l’exercice de compétences locales.
Elle ne peut mettre en péril : l’activité spatiale qui lui garantit un leadership européen ; la biodiversité qui depuis 1992 est devenu un enjeu mondial dans son exploitation et dans sa préservation ; la Défense militaire par une présence géostratégique unique en Amérique du Sud ; les ressources minérales (solides ou liquides) véritable réserve économique et technologique ; les frontières terrestres et maritimes, la Guyane est le seul département d’outre-mer qui est continental et qui est aussi le plus grand géographiquement…
Le développement de ce territoire particulier ne peut donc s’imaginer en toute autonomie, il doit être forcément sous un contrôle constant et quelqu’en soit le prix.
Et, il faut que la population accepte cette option là et ne soit pas tentée par une vision divergente de son développement.
Pour réussir durablement cet objectif, l’organisation républicaine s’appuie sur sa capacité d’influence et d’assimilation.
Cette capacité est articulée autour des corps intermédiaires qui permettent à la population de manifester ses idées, ses projets et ses revendications (syndicats, collectifs, associations, clubs service, loges etc…) ; autour aussi, des mouvements et partis politiques ; et surtout autour des élus du suffrage universel.
Ces élus ont la charge de servir la république et le territoire de la république, les deux à la fois et non pas l’un ou l’autre.
Ils doivent tous préserver les intérêts de la nation et c’est dans ce cadre seulement qu’ils sont autorisé à penser l’avenir de leur territoire.
C’est pourquoi toutes évolutions souhaitées dans le cadre de la république ne peut se faire contre les intérêts de la république.
Le président de la république de passage en Guyane leur a rappelé à chacun cette soumission sans condition et leur a ainsi accordé quelques annonces leur permettant de manipuler la réalité et convaincre tous ceux qui voudraient dévier de l’objectif de la nation : pas d’autonomie pour la Guyane.
Le second élément à retenir aussi, est la position des autonomistes (partisans de plus d’autonomie dans la république).
Notamment, tous ces élus qui ont clairement et unanimement voté en 2022 la sortie du cadre de l’article 73 de la constitution, celui là même qui avait recueilli la majorité des suffrages lors du référendum de 2010.
Cette position unanime s’était fondée sur un constat : celui du sous développement du territoire et surtout celui de l’échec de l’article 73.
Tous étaient donc d’accord pour imaginer l’adoption d’un autre article constitutionnel qui permettrait aux collectivités locales de prendre des décisions en pleine autonomie et de pouvoir les mettre en œuvre conformément aux besoins réels du territoire.
Des masques qui tombent ! Des indignités qui se révèlent !
Mais, comment certains élus ont donc réussi l’exploit d’avoir voté pour la sortie de la Guyane de l’article 73 de la constitution, et en même temps (et un temps record), en quelques mois seulement, avoir accepté de revenir sur ce vote solennel ?
Revoyons en dix étapes, un scénario dramatique mais révélateur.
ADAPTER OU EDICTER LES RÈGLES ?
1- Le cadre institutionnel actuel dans lequel le président de la République souhaite que la Guyane reste (l’article 73) permet d’adapter les règles du droit commun.
2- Les élus ont voté à l’unanimité en mars 2022 de sortir de ce cadre pour entrer dans un cadre permettant plus d’autonomie en matière législative (spécialité législative) et exécutive (nouvelles compétences territoriales non régaliennes).
3- Le chef de l’Etat encourage les élus à revenir sur leur vote en proposant de rester dans le cadre actuel et préciser les domaines où il est urgent d’adapter la règle.
4- Il exprime un accord de principe sur un éventuel transfert de compétences sans changer de cadre et en excluant tous les domaines de compétences de l’Etat de cette éventuelle démarche.
5- Dans les 4 mois qui viennent l’objectif est de dresser une liste des adaptions urgentes à opérer pour régler certaines situations. Partant du principe que toutes les urgences du département relèvent des domaines de compétences de l’Etat non transférables.
Ces adaptations devront donc déterminer dans quelles conditions les collectivités locales interviendraient un peu plus éventuellement dans certains de ces domaines sans en avoir jamais la compétence. Car la procédure d’habilitation n’a pas pour but de transférer une compétence, mais seulement de permettre à une collectivité locale de l’expérimenter et l’exercer pour un temps toujours limité.
6- Rappel : Les élus dans la démarche d’évolution institutionnelle avaient donc fini par être d’accord pour gagner le moyen de faire que la collectivité majeure puisse édicter les règles donc élaborer et voter des lois propres aux compétences non régaliennes qui devraient être transférées sur la base d’une reconnaissance d’un statut autonome dans la constitution et d’une loi organique qui définirait les détails de cet exercice.
8- La proposition guyanaise donc : Voter en toute autonomie des lois et exercer en toute autonomie aussi les compétences transférées : c’est la conséquence de la réussite du processus institutionnel guyanais.
10- Aujourd’hui, deux démarches se font face :
- celle du gouvernement, le statuquo, dans le 73 et pour seule autonomie la possibilité d’adapter les règles aux réalités guyanaises.
- et celle de la sortie du 73 et l’adoption d’un article dédié à un statut autonome de la Guyane lui permettant d’édicter les règles et exercer librement ses compétences.
Aussi, si demain les Guyanais devaient être interrogés la question institutionnelle, elle risquerait fort d’être formulée ainsi :
ÊTES VOUS D’ACCORD POUR RESTER DANS L’ARTICLE 73 ET CONSERVER UN POUVOIR D’ADAPTATION DES RÈGLES ET DES LOIS ?
OU ÊTES VOUS POUR LA SORTIE DES CONDITIONS DE L´ARTICLE 73 DE LA CONSTITUTION ET POUR LE PRINCIPE DE PLUS D'AUTONOMIE PERMETTANT À LA CTG D’ÉDICTER DES RÈGLES LÉGISLATIVES ET EXERCER DE NOUVELLES COMPÉTENCES ?
Une nouvelle stratégie de la confusion des esprits
Depuis 2010, la confusion fondamentale pour attiser les peurs et forcer au statuquo consiste à parler d’indépendance quand il s’agit d’autonomie et parler d’autonomie quand il s’agit d’adaptation.
Dans le statut actuel de la Guyane depuis la révision constitutionnelle de 2003 quand une loi est votée, elle s’applique comme dans toute les régions de France.
Sauf qu’il existe depuis une possibilité pour la collectivité guyanaise d’adapter certaines dispositions d’une loi et de ses règlements par une procédure « d’habilitation ». Mais, cette procédure n’est qu’une adaptation de la règle, elle n’est surtout pas un transfert de compétence ou une prise d’autonomie.
La collectivité se doit d’appliquer la loi en l’adaptant au territoire, c’est tout et rien de plus.
C’est une expérimentation qui a une durée dans le temps et qui est sous le contrôle du gouvernement, du Conseil d’Etat et du Parlement.
L’article 73, même poussé à son maximum, comme le souhaite le chef de l’Etat et désormais une majorité des maires, le président de la Collectivité Territoriale de Guyane et un sénateur de Guyane, en aucun cas n’est une prise d’autonomie.
Du coup, il convient donc d’être vigilant à cette confusion qui ne cesse d’être entretenue par ceux qui veulent rester dans le 73 et qui ont tout simplement peur d’assumer une charge trop lourde pour eux.
Ce sont eux qui se font désormais le relai de cette sourde mélodie qui veut encore et toujours convaincre les guyanais que toute idée d’autonomie correspond à l’indépendance de la Guyane.
Ce qui est évidement totalement faux tout comme de dire en 2010 que le choix de l’article 74 aboutirait à la fin des allocations familiales.
C’est le même type de mensonges, mais attention, « plus c’est gros plus ça passe ».
En conclusion, une seule visite du président de la république de moins de 48 heure, aura presque terrassé la dignité de ces élus qui auront bien du mal à cacher leur véritable nature et leur camp véritable.
Ces élus qui ne supportent toujours pas l’idée de pouvoir un jour être enfin des adultes responsables. Ces élus qui ne peuvent s’imaginer que dépendants et qui ont horriblement peur de grandir et s’émanciper.
Mais, en face d’eux, il y a tous ceux qui ont pris conscience qu’il n’y a réellement pas de contradiction entre autonomie et république.
Ce sont ces élus qui veulent plus de responsabilités en tant que français dans la république et qui estiment qu’être français en Amérique du Sud ne les empêchent pas d’être français en Guyane.
Quel extraordinaire retour en arrière jusqu’à cette année 2010 et ce débat 73-74 que l’on pensait derrière nous.
Nouvelle donne aujourd’hui, nouvel affrontement obscur de nouveau entre les « dépendantistes » et les autonomistes qui devra peut-être marquer l’avenir de la Guyane.
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